EXPOSITION DU 12 SEPTEMBRE AU 7 NOVEMBRE 2020
Vernissage vendredi 11 septembre à partir de 18h30.
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HYPERSURFACE
écrit par Raphaël Barontini, Mireille Blanc, Marine Wallon, Marie Weisensel – septembre 2020
La lumière crépite, les ombres creusent, le soleil est à son zénith.
Le spectacle quotidien du lever du soleil devient exceptionnel et saisissant. Être vivant ou artiste, c’est sûrement cela. Saisir les choses quand elles s’offrent à nous et les amplifier à l’échelle 1. Eva Nielsen s’œuvre à capturer ces micro-évènements, pour mieux saisir l’essentialité du moment, durant notre court et présomptueux passage terrien. L’acte sérigraphique de l’artiste vient signifier une architecture, un aménagement, un vestige. Ces paysages urbains composés de monuments de bétons, ou de structures métalliques signifient notre présence. Nous sommes submergés. La force enveloppante de la nature mêlée à la virtuosité picturale prend le pas. Les pérégrinations urbaines et naturalistes d’Eva Nielsen interrogent et réorganisent nos visions, nos appréciations du monde. Le paysage se mue en un signe totémique contemporain. Eva Nielsen nous propose un saut dans le paysage. D’une architectonique imprimée au sfumato d’une peinture à l’huile, nous sommes invités à regarder le temps et l’espace dans la chambre photographique. Eva Nielsen tient le tissu noir pour que l’on aperçoive l’image inversée. Celle qui deviendra peinture. Tracer un paysage mental avec des lignes, le recouvrir, le détourer et tenter d’atteindre la bonne équation picturale, qui fera œuvre.
Les espaces d’Eva Nielsen laissent une brèche spirituelle et visuelle au spectateur : une fente dans le béton, une moustiquaire trouée, une latte de chêne relevée. Témoins d’un temps statique et méditatif, nous accueillons derrière le discret moucharabieh, un intriguant et sidérant non-événement. L’artiste nous laisse une place à ses côtés, pour assister au moment capturé. Celui, si longuement recherché, celui qui pourra devenir peinture. L’artiste, elle, force le regard et la réalité est irradiée.
La peinture d’Eva Nielsen semble hésiter entre un calme assourdissant et un déraillement explosif. À regarder de près ses toiles, on visualise aisément son agitation dans l’atelier, sans doute animée de gestes contradictoires. On l’imagine découper hâtivement, imprimer minutieusement, raturer pleinement, éponger brusquement, renverser silencieusement, tout cela dans une urgence inquiétée et jouissive. Ses sérigraphies aux voilages pliés, comme Lucite, donnent la sensation d’une toile en trois dimensions qui serait malmenée à force de pliages et dit tout de l’objectif impossible de la peinture et de sa nécessaire torsion pour se renouveler. Ses peintures rappellent des souvenirs lointains de films expérimentaux où l’image déraille, disjoncte, s’ouvre et se ferme, est brûlée par la pellicule, puis grattée, lacérée, se coupant trop tôt, quand la vitesse de défilement est tout à coup contrariée.
Au cours d’une discussion dans notre atelier aux Beaux-Arts, Eva évoque la lecture de The Secret History de Donna Tartt. Se tissent alors des liens évidents entre ce livre qui entremêle des formes du roman noir, du polar, du drame psychologique et la peinture combinatoire d’Eva Nielsen. Nous y trouvons une agilité dans des jeux de collage, d’assemblage et de greffe qui nuisent à l’évidence de l’image et de sa compréhension. Le paysage statutaire est altéré, bouleversé, parfois même renversé par des dispositifs qui relèvent de l’impression, du geste manuel ou d’éléments naturels (pluie, moisissure). Une intrigue s’installe entre le regardeur et l’œuvre.
Le paysage du Vermont de Donna Tartt résonne avec les montagnes granitiques et vaporeuses d’Eva Nielsen qui nous sont données dans un lointain frémissement. Elles nous entraînent dans un vertige de paysages grandioses où s’entremêlent les odeurs, les lumières et les ombres d’une nature qui tient un rôle majeur. On y ressent un fort rythme saisonnier : un hiver sévère dans la série Aklat ou un automne boueux dans Template jusqu’à l’entracte printanier dans certains voilages. Les variations de lumières et de couleurs sont mises en tension par l’utilisation de la sérigraphie d’éléments architecturaux ou d’objets manufacturés. Eva Nielsen détourne cet outil pour susciter une puissance accidentelle et fragile. Dans sa peinture les parties sérigraphiées nous apparaissent alors comme des zones troubles, des taches aveugles, des flashs, des éblouissements, des accidents. Les montagnes, les prairies, les lacs deviennent le réceptacle d’un geste qui nous échappe – et qui échappe en partie à l’auteure. C’est là l’enjeu de la peinture. Un jeu d’équilibriste entre un travail complexe de composition et l’aléatoire du médium. C’est autoriser un lâcher-prise.
« Que pouvait-il y avoir de plus terrifiant et de plus beau que de perdre tout contrôle ? Rejeter un instant les chaînes de l’existence, briser l’accident de notre être mortel ? »
Donna Tartt
Il y a toujours quelque chose qui déraille, qui brouille, qui parasite l’œil du regardeur. Et d’œil il est éminemment question dans son travail. La forme circulaire, orbitale, est récurrente. Les cadrages sont resserrés sur des éléments géométriques circulaires – trous, percées, œil, aveuglement ? Ce qui se donne à voir, ce sont des paysages, lointains, devant lesquels figurent des formes architecturales quasi abstraites qui, toujours frontales, s’imposent et échappent simultanément au regard. La raison pour laquelle « cela tient », c’est cette tension, en chaque toile, entre ces deux élans opposés. Les éléments architecturaux – micro ou macro – sérigraphiés contiennent dans leur fabrication même des accidents et des hasards générés par la superposition et les décalages des écrans qui viennent les composer. Le paysage est peint par strates d’huile – flous vertigineux qui rejouent la question de profondeur de champ photographique – de ciels tumultueux et de landes désertées.
Ce que l’on ressent dans le travail d’Eva Nielsen, en tant que peintre, c’est le pur plaisir de peindre. Après les longues étapes de composition (collages photographiques, montages, perturbations d’échelles…) c’est la peinture elle-même qui prend le pas. Le geste, qu’il soit sérigraphique, d’impression, ou purement pictural s’impose et se révèle. L’excitation est perceptible dans le processus même, lorsque les scotchs qui masquent sont retirés de la sérigraphie, lorsque l’impression vient recouvrir d’une traite un fond, brossé, à l’encre, lorsque la peinture à l’huile émerge devant/derrière le noir et blanc et la réserve de la sérigraphie. Le jeu est palpable, même si le terme n’évacue pas la difficulté à chaque fois renouvelée, voire l’échec (où la peinture peut alors retomber) tout comme la nécessité et l’impulsion qui aboutissent à la peinture, quand les choses soudainement « tiennent » et apparaissent.
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Née en 1983, franco-danoise
Vit et travaille à Paris
https://www.eva-nielsen.com
Après une maîtrise d’Histoire Européennes et un Deug de Lettres Modernes (Sorbonne), Eva Nielsen est diplômée en 2009 des Beaux Arts de Paris. Lauréate en 2008 d’une bourse Socrate qui lui permet d’étudier à Central Saint Martins à Londres, elle remporte le Prix des Amis des Beaux-Arts/Thaddaeus Ropac (2009), le Prix Art Collector (2014), le Grand Prix de la Tapisserie d’Aubusson (2017) et a participé depuis à plusieurs expositions collectives en France et à l’étranger : MAC VAL, MMOMA (Moscou), l’Abbaye Saint André (Meymac), Musée de Rochechouart, Plataforma Revolver (Lisbonne), LACE (Los Angeles), Babel Art Space (Trondheim), Kunsthal Charlottenborg (Copenhague), Plymouth University (Angleterre).
Son travail a été également présenté lors d’expositions monographiques à Paris (Galerie Jousse Entreprise), Istanbul (The Pill), Tunis et Londres (Selma Feriani) et fait partie de plusieurs collections publiques et privées (MAC VAL, FMAC, Musée de Rochechouart, CNAP, Fondation Fiminco, FRAC Auvergne, Fondation François Schneider…).
Plus d’infos :
http://www.eva-nielsen.com/choix/eva-nielsen.pdf
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© Eva Nielsen
© Pedro Studio Photos