VENDREDI 29 NOVEMBRE À 18H30

en résonance de la 17e Biennale de Lyon Art Contemporain

Les récits de soi et l’expérience de la réciprocité sont au cœur de la pratique de Carla Adra. À travers des expériences performatives collectives, elle organise des moments de rencontres, dans lesquels elle laisse sa voix à l’autre et tente de rendre audible une parole souvent disqualifiée dans la sphère domestique, urbaine ou institutionnelle. Intéressée par la psychanalyse, l’anthropologie et les pédagogies alternatives, elle propose des espaces-temps de rencontre et de mise en commun : conversations, duels et ateliers participatifs s’organisent selon des protocoles précis. Dans l’espace public ou au sein de structures, elle collecte des paroles en échange d’une histoire vécue, elle propose de déplacer le point d’énonciation, d’endosser un récit personnel comme on se revêtit du vêtement de l’autre, faisant résonner des témoignages individuels avec des expériences
partagées.

Fleurs de Peurs, 2024

Performance, 1h
Avec Axelle Gandoin, Jasminn Sauty-Lyard, Léonore Crey
Installation : fleurs fraîches, seaux, tuteurs, papiers, tatouages éphémères
Costumes : tenue type bleu de travail jardinier

Fleurs de Peurs est une performance itinérante de Carla Adra. Elle prend la forme d’un marché temporaire installé puis démonté de lieu en lieu. L’artiste réactive des peurs d’enfants et d’adultes préalablement collectées* ; les peurs imprimées sont fixées à des tiges de fleurs soutenues par des tuteurs. Un stand semblable à celui d’un fleuriste est tenu par Axelle Gandoin, Jasminn Sauty-Lyard et Léonore Crey, trois enfants de huit ans.
Chaque participant·e est invité·e à noter une de ses peurs pour la confier aux enfants. Figures centrales du troc, Axelle Gandoin, Jasminn Sauty-Lyard et Léonore Crey offrent en échange une fleur de peur choisie dans la collection à leur disposition. Les pétales des fleurs coupées sont éparpillés au sol.

La peur ne produit rien ; elle empêche celui qui la ressent d’accéder à l’objet craint ou redouté. Elle induit un mouvement de repli sur soi, permettant de se protéger d’un danger, qu’il soit réel ou ressenti.

Dans Fleurs de Peurs, la peur acquiert une valeur positive, puisqu’elle tient lieu de monnaie d’échange. Le regardeur obtient en échange de sa peur un végétal coupé ; Carla Adra souligne ainsi le caractère éphémère des peurs, qui changent à chaque âge de la vie, et s’éteignent avec les personnes.

Les peurs ont pris la place des fleurs. Leurs pétales exhalent un dernier souffle tandis que se déroule la performance. Les peurs survivent ainsi aux fleurs ; sont-elles responsables de la mort des fleurs ? Ou, au contraire, issues d’elles, semblables à elles, fragiles comme elles ? On peut imaginer que les fleurs, en perdant leurs pétales, ont éclos une seconde fois, donnant naissance aux peurs. On peut tout aussi bien se figurer que les peurs ont fait tomber les fleurs.

Peu importe le potentiel destructeur des peurs ; les enfants ont le pouvoir de les manier. Depuis leur stand, elles pourraient constituer des bouquets de peurs coupées, assemblant et manipulant celles-ci avec désinvolture. Elles ont toutes trois un tatouage éphémère de papillon sur la joue, et sont vêtues d’une combinaison évoquant le vêtement de travail d’un·e fleuriste ou d’un·e jardinier·e. Ce costume signifie au regardeur le statut des enfants, leur rôle et leur place au sein de la micro-société rassemblée autour d’elles le temps de la performance. Elles sont pollinisatrices de peurs : comme les papillons, elles construisent et maintiennent un écosystème, à travers la redistribution des peurs qui leur sont confiées. Les liens qu’elles créent sont parfaitement équilibrés, parce qu’ils sont entièrement subjectifs, et que des liens d’une telle sorte ne sauraient obéir à aucune logique.

Axelle Gandoin, Jasminn Sauty-Lyard et Léonore Crey sont médiatrices émotionnelles : elles établissent une hiérarchie des peurs de manière intuitive et spontanée. Cette hiérarchie est déterminée par leur univers d’enfant ; le regardeur adulte est mis face à une gradation des peurs différente de celle à laquelle il est accoutumé ; on est face à un déplacement de la peur.

Carla Adra nous propose d’entrer dans une poésie de l’irrationnel. La peur écrite perd son sens en se détachant de celui ou celle à qui elle appartient ; elle est comme déracinée. Cette mise à distance permet par exemple d’accéder à l’esthétique absurditée de la « peur des calamars » ; il est difficile de résister à l’envie d’imaginer les péripéties rocambolesques et colorées suggérées par cette peur. Nous nous engouffrons sur le terrain de l’imaginaire. Nous ne pouvons pas nous approprier des craintes que nous n’éprouvons pas ; nous pouvons échanger nos peurs contre les images invoquées par celles des autres. 

Oxanna Bertrand

* Lors de l’exposition personnelle de Carla Adra Se perdre sans peur (2024), Cyrille Guitard et Elsa Gervais (médiateurices du centre d’art contemporain 40mcube à Rennes) ont initié des ateliers collectifs au cours desquels iels ont collecté des peurs d’enfants et d’adultes.

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Née en 1993 à Toronto (Canada), vit et travaille à Paris.
Carla Adra a étudié à l’École nationale d’art et de design de Reims, à l’Ontario College of Art and Design de Toronto et a intégré le post-diplôme de l’École Nationale des Beaux-Arts de Lyon entre 2018 et 2020. Lauréate du programme Magnetic organisé par Fluxus Art Projects, elle vient d’achever une résidence à Covepark (Écosse). Ses œuvres ont été acquises par le Fonds d’art contemporain – Paris Collections. Son travail a été récompensé par le prix Prisme en 2017.

Elle est représentée par la Galerie Valeria Cetraro (Paris).
Site de l’artiste.

 

© Julie Emmanuelle Monestier